Je viens de finir de lire un bouquin assez exceptionnel : THE CHECKLIST MANIFESTO– How to get things right de Atul GAWANDE.
Il date de 2010, mais reste absolument d’actualité.
Exceptionnel pour plusieurs raisons :
- Un récit simple, straight to the point,
- Des anecdotes, des histoires de patients, une mise en relief et en comparaison de la médecine avec d’autres activités : l’ingénierie de la construction, l’aviation, la finance…
- L’histoire assez basique tout en étant impressionnante de la création de la checklist du bloc opératoire, comprenant 19 items, prenant 2 minutes à compléter, qui a permis de réduire de 35% le nombre de complications et la mortalité de 47%
LES CHECKLISTS SUR UN PIED D’ESTALE
Comme son nom l’indique, ce livre est une ode à l’utilisation de checklists.
Non seulement en médecine mais également dans tous les domaines où les connaissances sont devenues complexes et quasi-infinies rendant extrêmement difficile la possibilité de leurs réalisations par une seule personne de manière reproductible, correcte et sûre.
Atul GAWANDE est un chirurgien américain d’origine indienne, travaillant à Boston. Il a écrit de nombreux livres et est un auteur régulier du New Yorker.
Dans THE CHECLIST MANIFESTO, il décrit la manière dont il a établi avec son équipe la « fameuse » checklist du bloc opératoire.
Il serait facile de penser que la complexité n’atteint son paroxysme qu’en médecine, où, quand même, nous avons la vie de patients entre les mains…
La lecture de ce livre non seulement ramène de l’humilité dans la pratique de notre métier mais les nombreuses comparaisons à d’autres domaines professionnels montrent à quels points nous sommes en retard dans notre culture de sécurité.
Ce qui est plaisant, c’est qu’il ne tombe pas uniquement dans l’éternel comparaison de la médecine à l’aviation. Il le fait malgré tout, un livre sur les checklists digne de ce nom ne pourrait s’en passer, mais il n’insiste alors pas uniquement sur les points que nous avons coutume de lire et d’entendre.
AVIATION VS MÉDECINE
Non, il serait vraiment dommage d’arrêter votre lecture à ce chapitre.
Je suspecte d’ailleurs Atul GAWANDE d’avoir mis ce chapitre après les comparaisons de la médecine à l’ingénierie de la construction immobilière (les gratte-ciels et autres grands bâtiments, pas les cabanes en bois) pour ne pas rebuter les soignants n’aimant pas être comparés à des pilotes.
Oui, nous ne sommes pas dans un cockpit, oui nous intervenons sur de l’humain mais leurs erreurs comme les nôtres tuent. On ne peut être, par contre, qu’intéresser par leur culture de l’erreur, par leurs strictes analyses permettant après avoir déterminé d’où elles venaient, d’établir des plans de corrections, des checklists pour éviter leur reproduction et surtout la diffusion de ce nouveau savoir dans tous les cockpits de tous les avions du monde en un temps record !!!
Beaucoup d’enseignement est à retirer de la comparaison d’Atul GAWANDE de la médecine à l’aviation sans pour autant venir bosser lundi prochain en blouse blanche, casquette de pilote et galon sur l’épaule (bien que je suis sûr que cela plairait à certains…).
INGÉNIERIE DE LA CONSTRUCTION VS MÉDECINE
Cette comparaison est assez fascinante.
Déjà parce qu’elle m’a fait découvrir un métier dont j’ignorais absolument tout, ensuite parce qu’elle montre que nous n’avons certainement pas encore changer de paradigme en médecine alors que le domaine de la construction, oui.
Nous sommes, pour beaucoup, restés en médecine à l’époque des grands constructeurs du moyen-âge. Une époque où la plupart des édifices avait la forme de boites à angles droits surmonter de tours et clochers.
L’ingénieur qu’Atul GAWANDE interroge dans le livre raconte qu’il a voulu faire des études de médecine. Mais il a buté, comme beaucoup d’entre nous sur la chimie organique en première année. Lorsque son professeur lui a demandé d’apprendre toutes les formules par cœur, il lui a rétorqué qu’il n’y voyait pas d’intérêt puisqu’elles étaient toutes facilement disponibles dans n’importe quel textbook. Son professeur lui a répondu que c’était comme ça et que s’il voulait devenir médecin il fallait apprendre ces « fucking » formules par cœur.
L’année suivante, cet homme débutait ses études d’ingénieur…
Le changement de paradigme doit passer par la catégorisation des situations que l’on rencontre en médecine : simples, compliquées et complexes.
Pour les tâches les plus complexes, comme pour les autres d’ailleurs, les checklists semblent pouvoir défendre tout à chacun, même les plus expérimentés, contre les erreurs et les échecs. Elles créent une espèce de toile d’araignée cognitive permettant de capter les défauts mentaux inhérents à chacun d’entre nous, les défauts de mémoire, les défauts d’attention, les défauts de minutie.
Et parce qu’elles le font, elles ouvrent des possibilités étendues et inattendues.
DEVENIR CRÉATEUR DE CHECKLISTS
Ce livre ne saurait être ce qu’il est sans un chapitre dédié à la création de la checklist du bloc opératoire en particulier et des checklists en général.
Ainsi, encore une fois, Atul GAWANDE insiste sur ce que les checklists peuvent apporter, mais également sur ce qu’elles ne peuvent pas, sur la manière de les rendre efficace pour qu’elles soient non seulement acceptées mais utilisées.
À renfort d’exemples, je suis convaincu qu’avec du travail, je peux désormais réflechir et créer de telles checklists qui pourrons tant me servir en médecine que dans la vie.
LA CHECKLIST DE BLOC OPÉRATOIRE EN QUESTION
À la lecture de THE CHECKLIST MANIFESTO, j’ai réellement pris conscience de la raison de sa création.
Bien sûr, elle permet d’augmenter la sécurité des patients d’abord pour l’anesthésie en s’assurant de l’absence d’allergie, d’antécédent d’intubation difficile ou de risque hémorragique particulier, ensuite pour la chirurgie en confirmant que l’on opère le bon patient, du bon côté, que l’image radio ou scanographique en question est bien affichée et que l’antibiotique est bien passé.
Mais elle permet aussi de se présenter à chacun (de l’interne d’anesthésie à l’aide de salle en passant par le grand patron de chir), d’exprimer ces préoccupations tant anesthésiques que chirurgicales, et ainsi de, attention I believe I can fly, s’envisager en tant qu’équipe.
Je cite R Kelly mais je suis en réalité convaincu que c’est parce que chaque membre présent dans le bloc se sent investi et donc présenté, qu’il a partagé ces préoccupations, que la sécurité des patients est améliorée.
RETOUR DIFFICILE MAIS NÉCESSAIRE À PLUS D’HUMILITÉ
L’auteur a présenté son livre et les résultats de son travail dans un Ted Talk.
Dans celui-ci il compare les médecins à des cowboys. Pas les cowboys en blouse blanche dans le sens où nous l’entendons parfois, à savoir des médecins trop directs, trop brutaux, brut de décoffrage…
Mais plutôt comme des cowboys solitaires, seuls dans leurs pampas, seuls à surveiller des milliers de têtes de bétail sur des centaines de kilomètres.
De super-médecins, capables de tout connaître de leur spécialité, d’être à jour de toutes les dernières parutions, capables d’enseigner comme de continuer à apprendre, tout ça avec des chevilles suffisamment lourdes pour que leurs grosses têtes ne les fassent pas s’envoler directement à l’Olympe tailler une bavette avec Asclépios, héro guérisseur et dieu de la santé.
Dans sa conférence TED, il dit qu’il a rencontré un vrai cow-boy moderne. Il lui a donc demander comment il s’y prenait pour gérer ses milliers de vaches, sur ces centaines de kilomètres.
Le cow-boy lui a répondu qu’ils étaient plusieurs, à travailler en équipe aux quatre coins de la plaine, à communiquer par radio et à appliquer des protocoles et des checklists pour pouvoir gérer cet apparent bordel…
Même les cow-boys solitaires ne le sont plus. Ils coopèrent au sein d’un réseau tissé intelligemment dans les vastes étendues du Montana ou les pampas argentines.
Nous sommes, nous soignants, à un point où nous n’avons plus le choix d’être individualiste, la complexité de nos métiers nécessite le succès du groupe.
Nous devons devenir des « crews » de cowboys et cowgirls.